Aspirine et vaines roulettes
Tu trouves que les handicapés font tache dans ton
cabinet médical flambant neuf ? Voici quelques bons conseils testés et
désapprouvés par ta chroniqueuse préférée pour les bouter promptement hors de
chez toi.
Cher ami du corps
caverneux euh, du corps médical, nous le savons tous : ton métier est
éprouvant. Tu te lèves tôt, te couches tard, tu es confronté/e à la maladie, la
mort et même aux fistules anales ! Tu dois prendre seul/e des décisions
cruciales et seul/e, tu en assumes les conséquences. Pourtant, tu te passerais
bien de certains patients, chronophages et déprimants…j’ai nommé nos amis
handicapés. Chaque année au moment du Téléthon, alors que tu t’apprêtes à
claquer en toute insouciance ton blé dans de somptueux cadeaux, ils débarquent
à la télé et te culpabilisent avec leurs grands yeux pleins d’espoir, leurs
petites mains atrophiées pendant comme celles de Mr. Burns, leurs jambes
maigres aux genoux cagneux. Déjà ça te fout le bourdon mais quand ils
débarquent dans ton cabinet, c’est encore pire et en plus, tu te mets à
fredonner du Hugues Aufray, du Frédéric François ou d’autres chansons ringardes
qui passent au Téléthon. Bref, ta vie est un enfer !
Heureusement, Tata Sushi
est experte en la matière. Vois-tu, je fais moi-même partie de ce cercle pas
très fermé des myopathes de France et, suite à ma longue expérience avec le
corps médical, je peux t’indiquer les meilleurs trucs pour dissuader les
personnes handicapées de venir te voir. Toutes ces méthodes ont été dûment
testées sur ma petite personne et garanties handicaped-proof.
1/ Le collège d’experts
La meilleure manière
d’effrayer les handicapés est de rassembler ses troupes en une équipe
pluridisciplinaire (en plus, c’est très à la mode).
Trouve-toi deux copains sadiques et convoquez votre myopathe à neuf heures
précises pour un bilan type contrôle technique. Faites passer le patient à
quinze heures, pas plus tôt ; ça ne ferait pas sérieux, les plus grands
spécialistes sont également les plus occupés.
Ordonnez-lui de se mettre en zlip et consultez longuement son dossier médical
tandis qu’il grelotte. Tournez-vous ensuite vers lui pour l’ausculter mais
prenez soin de ne jamais vous adresser directement à lui (on sait jamais, cette
saloperie de myopathie, si ça se trouve, c’est contagieux !). Veillez à
toujours utiliser la troisième personne du singulier : « Alors,
il/elle se sent bien aujourd’hui ? » Faites des blagounettes sympa
pour détendre l’atmosphère, par exemple, testez systématiquement les réflexes
de la personne alors que vous savez très bien que sans muscles, il n’y a pas de
réflexes. Ponctuez votre acte d’un hilarant : « Avec lui/elle au
moins, je ne risque pas de me prendre un coup de pied dans les
parties ! » Partez d’un grand éclat de rire et ébouriffez les cheveux
de votre patient qui ne pourra lever le bras assez haut pour se recoiffer.
Incluez impérativement une doctoresse dans votre collège d’expert ; son
rôle consistera à regarder d’un air inquisiteur dans la culotte de vos
patientes tout en commentant : « Huuum, intéressant. Elle est
réglée ? »
Il est préférable que le troisième toubib, lui, ne fasse rien. Il doit avoir
des airs de Christopher Lee car il s’agit du vieux sage de l’hôpital. Son rôle
consistera à contempler la scène, assis à son bureau sans mot dire, mains
croisées. De temps en temps, il se
passera la langue sur les canines tout en lançant un sombre regard vers le
patient.
Une fois celui-ci ausculté, éloignez-vous un peu, faites des messes basses en
jetant de temps en temps des coups d’œil suspicieux à votre patient toujours en
zlip.
Après dix minutes, revenez à votre patient, étonnez-vous qu’il ne se soit pas
rhabillé : « Ah bon, on ne lui avait pas dit de le
faire ? » et proposez-lui une petite intervention chirurgicale de
huit ou dix heures. Détendez encore une fois l’atmosphère en
ajoutant : « Il/elle comprend, cette opération est
importante : j’ai ma piscine à creuser avant l’été moi ! »
Partez à nouveau d’un grand éclat de rire et libérez votre patient qui ne
devrait vraisemblablement plus jamais revenir !
2/ Le ping-pong de
spécialistes
Voilà un petit jeu très
amusant pour toi, ami spécialiste. Les myopathes souffrent souvent de diverses
pathologies, ce qui est très pratique pour toi. Tu es neurologue ? Réponds
à toutes les questions du patient par une incertitude des plus fermes et
conclus le rendez-vous par un : « Vous devriez plutôt voir le
pneumologue/ le cardiologue/ le médecin rééducateur… » (raye les mentions
inutiles) « …Lui, il saura ! »
Et quand ton patient se rendra chez le pneumologue/ le cardiologue/ le médecin
rééducateur… , le digne praticien répondra à son tour à toutes ses questions
par : « C’est plutôt le neurologue qui pourra vous renseigner à ce
sujet. Je vous conseille de prendre un rendez-vous. »
Ainsi vous êtes sûr de ne pas revoir votre myopathe avant dix ans !
3/ Un corps souffrant
Tu es seul/e dans ton
cabinet généraliste? Qu’à cela ne tienne ; tu peux toujours bouter
les myopathes hors de ton antre en appliquant quelques règles très simples.
La plus évidente est la suivante : interdis-toi toute visite à domicile
(après tout, il y a S.O.S médecins pour ça !) et installe ton cabinet dans
un vieil immeuble des plus étroits, tout en haut d’un escalier en colimaçon.
Depuis ce rempart infranchissable, tu t’éviteras la visite de tout myopathe
indésirable.
Ton cabinet est
accessible ? Dommage ! Mais ne désespère pas, j’ai LA solution !
Ne considère jamais la personne handicapée comme une personne mais seulement
comme un corps immuablement souffrant.
Par exemple, lorsque celle-ci entre dans ton cabinet, lance-lui : « Alors,
où avez-vous mal aujourd’hui? » Si la personne n’a pas mal, insiste
lourdement et développe une passion dévorante pour les escarres:
« Mais si enfin, dans votre état…avec ce positionnement…Vous avez
forcément des escarres ! » Si la personne nie, traite-la de menteuse
et exige à hauts cris de voir son fessier (même et surtout si ton myopathe
consulte seulement pour un bête rhume). Une fois le fessier longuement examiné
et l’absence d’escarres constatée, prescris moult crèmes, pansements et
coussins anti-escarres ainsi que des bas de contention pour que la personne ait
l’impression d’avoir quatre-vingts ans.
Plains-toi ensuite abondamment
du fait que tu passes de longues heures assis/e à ton bureau pour faire des
papiers en précisant que la position assise est la plus dangereuse qui soit,
favorisant accidents cardiaques, thromboses ou cancers du côlon. Une position
mortelle quoi !
4/ Un esprit souffrant
Applique toujours le
principe : « Un esprit malade dans un corps malade », montre
bien à ton patient que sa vie est merdique, qu’elle mérite à peine d’être vécue
et oriente toujours tes questions sur son mal-être.
Si ton myopathe déclare
que tout va bien, c’est qu’il est dans le déni. Rappelle en détail ses
conditions de vie déplorable : « Aaaaah, ma pauvre petite dame, vous
êtes bien à plaindre, clouée à vie dans ce fauteuil. Vous avez du courage!
Avez-vous vraiment réalisé que jamais vous ne pourrez participer à une
compétition de surf ? Moi j’adore le surf, c’est ma vie ! »
Si ton myopathe est en
couple, esbaudis-toi avant d’enchaîner : « Ah, et votre conjoint/e,
il a quel handicap ? Aucun ?! Ah tiens ! Faudra me
l’envoyer ! »
Si ton myopathe
travaille, zyeute-le de haut en bas, pousse un profond soupir et lance :
« Oui, c’est bien…Mais en serez-vous capable encore
longtemps ? »
Après toutes ces
saillies, ton patient devrait se mettre à pleurer. Si c’est le cas, profites-en
pour l’expédier chez le psy. S’il ne le fait pas, c’est qu’il est dans le déni,
c’est très grave : envoie-le chez le psy !
4/ Et la gynécologie dans
tout ça ?
Tu es gynécologue ?
Grand bien t’en fasse, tu ne seras pas trop embêté/e car seulement dix pour
cent des femmes handicapées consultent.
Néanmoins, si tu en trouves
une dans ton cabinet, commence par renifler bruyamment : « Je fais
pas ça moi les handicapées. Vaudrait mieux aller aux urgences ; là-bas ils
se mettraient à quatre ou cinq pour vous tenir et vous examiner ! »
Si malgré tout la
personne insiste pour se faire examiner, obtempère, chausse une lampe frontale
et, petit bonus (même si j’avoue que cela ne m’est encore jamais arrivé pour le
coup) éclate de rire en plein frottis si la patiente déclare avoir une vie
sexuelle. Ca devrait la calmer pour un moment cette effrontée !
Voilà pour ce petit tuto
très tiré de faits réels. Crois-moi, si tu suis mes conseils à la lettre, plus
aucune personne handicapée ne devrait franchir le seuil de ton cabinet et tu
auras une paix royale ! A ton service !
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