mardi 23 décembre 2025

Aspirine et vaines roulettes

 

Aspirine et vaines roulettes

Tu trouves que les handicapés font tache dans ton cabinet médical flambant neuf ? Voici quelques bons conseils testés et désapprouvés par ta chroniqueuse préférée pour les bouter promptement hors de chez toi.

Cher ami du corps caverneux euh, du corps médical, nous le savons tous : ton métier est éprouvant. Tu te lèves tôt, te couches tard, tu es confronté/e à la maladie, la mort et même aux fistules anales ! Tu dois prendre seul/e des décisions cruciales et seul/e, tu en assumes les conséquences. Pourtant, tu te passerais bien de certains patients, chronophages et déprimants…j’ai nommé nos amis handicapés. Chaque année au moment du Téléthon, alors que tu t’apprêtes à claquer en toute insouciance ton blé dans de somptueux cadeaux, ils débarquent à la télé et te culpabilisent avec leurs grands yeux pleins d’espoir, leurs petites mains atrophiées pendant comme celles de Mr. Burns, leurs jambes maigres aux genoux cagneux. Déjà ça te fout le bourdon mais quand ils débarquent dans ton cabinet, c’est encore pire et en plus, tu te mets à fredonner du Hugues Aufray, du Frédéric François ou d’autres chansons ringardes qui passent au Téléthon. Bref, ta vie est un enfer !    

Heureusement, Tata Sushi est experte en la matière. Vois-tu, je fais moi-même partie de ce cercle pas très fermé des myopathes de France et, suite à ma longue expérience avec le corps médical, je peux t’indiquer les meilleurs trucs pour dissuader les personnes handicapées de venir te voir. Toutes ces méthodes ont été dûment testées sur ma petite personne et garanties handicaped-proof.

1/ Le collège d’experts

La meilleure manière d’effrayer les handicapés est de rassembler ses troupes en une équipe pluridisciplinaire (en plus, c’est très à la mode).        
Trouve-toi deux copains sadiques et convoquez votre myopathe à neuf heures précises pour un bilan type contrôle technique. Faites passer le patient à quinze heures, pas plus tôt ; ça ne ferait pas sérieux, les plus grands spécialistes sont également les plus occupés.
Ordonnez-lui de se mettre en zlip et consultez longuement son dossier médical tandis qu’il grelotte. Tournez-vous ensuite vers lui pour l’ausculter mais prenez soin de ne jamais vous adresser directement à lui (on sait jamais, cette saloperie de myopathie, si ça se trouve, c’est contagieux !). Veillez à toujours utiliser la troisième personne du singulier : « Alors, il/elle se sent bien aujourd’hui ? » Faites des blagounettes sympa pour détendre l’atmosphère, par exemple, testez systématiquement les réflexes de la personne alors que vous savez très bien que sans muscles, il n’y a pas de réflexes. Ponctuez votre acte d’un hilarant : « Avec lui/elle au moins, je ne risque pas de me prendre un coup de pied dans les parties ! » Partez d’un grand éclat de rire et ébouriffez les cheveux de votre patient qui ne pourra lever le bras assez haut pour se recoiffer.
Incluez impérativement une doctoresse dans votre collège d’expert ; son rôle consistera à regarder d’un air inquisiteur dans la culotte de vos patientes tout en commentant : « Huuum, intéressant. Elle est réglée ? »     
Il est préférable que le troisième toubib, lui, ne fasse rien. Il doit avoir des airs de Christopher Lee car il s’agit du vieux sage de l’hôpital. Son rôle consistera à contempler la scène, assis à son bureau sans mot dire, mains croisées.  De temps en temps, il se passera la langue sur les canines tout en lançant un sombre regard vers le patient.
Une fois celui-ci ausculté, éloignez-vous un peu, faites des messes basses en jetant de temps en temps des coups d’œil suspicieux à votre patient toujours en zlip.  
Après dix minutes, revenez à votre patient, étonnez-vous qu’il ne se soit pas rhabillé : « Ah bon, on ne lui avait pas dit de le faire ? » et proposez-lui une petite intervention chirurgicale de huit ou dix heures. Détendez encore une fois l’atmosphère en ajoutant : « Il/elle comprend, cette opération est importante : j’ai ma piscine à creuser avant l’été moi ! »
Partez à nouveau d’un grand éclat de rire et libérez votre patient qui ne devrait vraisemblablement plus jamais revenir !

2/ Le ping-pong de spécialistes

Voilà un petit jeu très amusant pour toi, ami spécialiste. Les myopathes souffrent souvent de diverses pathologies, ce qui est très pratique pour toi. Tu es neurologue ? Réponds à toutes les questions du patient par une incertitude des plus fermes et conclus le rendez-vous par un : « Vous devriez plutôt voir le pneumologue/ le cardiologue/ le médecin rééducateur… » (raye les mentions inutiles) « …Lui, il saura ! »
Et quand ton patient se rendra chez le pneumologue/ le cardiologue/ le médecin rééducateur… , le digne praticien répondra à son tour à toutes ses questions par : « C’est plutôt le neurologue qui pourra vous renseigner à ce sujet. Je vous conseille de prendre un rendez-vous. »
Ainsi vous êtes sûr de ne pas revoir votre myopathe avant dix ans !

3/ Un corps souffrant

Tu es seul/e dans ton cabinet généraliste? Qu’à cela ne tienne ; tu peux toujours bouter les myopathes hors de ton antre en appliquant quelques règles très simples.  

La plus évidente est la suivante : interdis-toi toute visite à domicile (après tout, il y a S.O.S médecins pour ça !) et installe ton cabinet dans un vieil immeuble des plus étroits, tout en haut d’un escalier en colimaçon. Depuis ce rempart infranchissable, tu t’éviteras la visite de tout myopathe indésirable.

Ton cabinet est accessible ? Dommage ! Mais ne désespère pas, j’ai LA solution ! Ne considère jamais la personne handicapée comme une personne mais seulement comme un corps immuablement souffrant.
Par exemple, lorsque celle-ci entre dans ton cabinet, lance-lui : « Alors, où avez-vous mal aujourd’hui? » Si la personne n’a pas mal, insiste lourdement et développe une passion dévorante pour les escarres: « Mais si enfin, dans votre état…avec ce positionnement…Vous avez forcément des escarres ! » Si la personne nie, traite-la de menteuse et exige à hauts cris de voir son fessier (même et surtout si ton myopathe consulte seulement pour un bête rhume). Une fois le fessier longuement examiné et l’absence d’escarres constatée, prescris moult crèmes, pansements et coussins anti-escarres ainsi que des bas de contention pour que la personne ait l’impression d’avoir quatre-vingts ans.        

Plains-toi ensuite abondamment du fait que tu passes de longues heures assis/e à ton bureau pour faire des papiers en précisant que la position assise est la plus dangereuse qui soit, favorisant accidents cardiaques, thromboses ou cancers du côlon. Une position mortelle quoi !

4/ Un esprit souffrant

Applique toujours le principe : « Un esprit malade dans un corps malade », montre bien à ton patient que sa vie est merdique, qu’elle mérite à peine d’être vécue et oriente toujours tes questions sur son mal-être.        

Si ton myopathe déclare que tout va bien, c’est qu’il est dans le déni. Rappelle en détail ses conditions de vie déplorable : « Aaaaah, ma pauvre petite dame, vous êtes bien à plaindre, clouée à vie dans ce fauteuil. Vous avez du courage! Avez-vous vraiment réalisé que jamais vous ne pourrez participer à une compétition de surf ? Moi j’adore le surf, c’est ma vie ! »

Si ton myopathe est en couple, esbaudis-toi avant d’enchaîner : « Ah, et votre conjoint/e, il a quel handicap ? Aucun ?! Ah tiens ! Faudra me l’envoyer ! »

Si ton myopathe travaille, zyeute-le de haut en bas, pousse un profond soupir et lance : « Oui, c’est bien…Mais en serez-vous capable encore longtemps ? »

Après toutes ces saillies, ton patient devrait se mettre à pleurer. Si c’est le cas, profites-en pour l’expédier chez le psy. S’il ne le fait pas, c’est qu’il est dans le déni, c’est très grave : envoie-le chez le psy !

4/ Et la gynécologie dans tout ça ?

Tu es gynécologue ? Grand bien t’en fasse, tu ne seras pas trop embêté/e car seulement dix pour cent des femmes handicapées consultent.

Néanmoins, si tu en trouves une dans ton cabinet, commence par renifler bruyamment : « Je fais pas ça moi les handicapées. Vaudrait mieux aller aux urgences ; là-bas ils se mettraient à quatre ou cinq pour vous tenir et vous examiner ! »

Si malgré tout la personne insiste pour se faire examiner, obtempère, chausse une lampe frontale et, petit bonus (même si j’avoue que cela ne m’est encore jamais arrivé pour le coup) éclate de rire en plein frottis si la patiente déclare avoir une vie sexuelle. Ca devrait la calmer pour un moment cette effrontée !

Voilà pour ce petit tuto très tiré de faits réels. Crois-moi, si tu suis mes conseils à la lettre, plus aucune personne handicapée ne devrait franchir le seuil de ton cabinet et tu auras une paix royale ! A ton service !

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