lundi 22 décembre 2025

La mystérieuse affaire du cadavre égaré chapitre 2

 

II

Mel et Selma rejoignirent le bureau aussi vite qu’elles purent. Dix minutes plus tard, une femme apparut au coin de la rue, frêle silhouette à la démarche incertaine, affublée d’un imper et d’un chapeau, comme une caricature de privé du XXe siècle. Agacée, Selma soupira.

Les portes s’ouvrirent devant la femme, et tandis qu’elle s’asseyait sur la chaise, les vitres du bureau s’opacifièrent instantanément. C’est alors qu’elle retira son accoutrement. Selma étouffa un juron. Le visage de leur cliente n’était que plaies et boursouflures, son cou était recouvert d’ecchymoses.

Mel ouvrit un tiroir et en tira un spray marqué d’une croix rouge : « Je peux ? ». La cliente croassa en guise d’assentiment, laissant Mel vaporiser un liquide sur son visage et dans sa gorge. La substance grésilla une minute, provoquant une plainte de la cliente. Mel lui tendit une serviette humide. Une fois essuyé, le visage ne présentait désormais plus de traces de violences.

« Merci, soupira la femme d’une voix claire, j’avais épuisé ma dose mensuelle de spray guérisseur. Cela aurait paru suspect si j’avais tenté de m’en procurer un autre. »

C’est alors que Selma la reconnut. Laura, l’ex de Mel, son amour de la fac, qui l’avait quittée subitement pour un type plein aux as et qui lui avait brisé le cœur. La jeune femme sentit un poids dans sa poitrine. Elle se concentra sur la parole de Laura, entrecoupée de sanglots.

« Je suis désolée de te mêler à tout ça, surtout après tant d’années sans donner de nouvelles. Mais… j’ai réalisé que je ne pouvais faire confiance à personne. Sauf à toi. Et ton agence a bonne réputation : j’ai même une amie qui a fait appel à toi et…

-       Venez-en au fait, l’interrompit sèchement Selma, ici vous payez à l’heure ».

Laura lança un regard outré à Mel : « Non, répondit-elle, je ne te facturerai pas, mais oui, viens-en au fait. Tu peux lui faire confiance, même si elle n’a aucun savoir-vivre. »

La jeune femme hésita : « Tu veux dire que c’est ELLE ta détective ?! » Son regard s’attarda sur le corps atone de Selma. « Je veux dire… 

-       Quoi ? J’ai pas l’air compétente ? gronda Selma.

-       Euh, si, bien sûr ! Et c’est important la diversité, que des gens comme vous exercent un métier et… »

Sa voix s’éteignit dans sa gorge face au regard hostile de Selma.

Mel soupira : « On comprend pourquoi c’est moi qui suis chargée de la relation clientèle ! Allez, Laura, raconte-nous, je t’en prie. »

La jeune femme prit une grande inspiration avant de lâcher : « J’ai tué mon mari ce matin.

-       Si c’est lui qui vous a mise dans cet état, c’est pas un mal ! », grogna Selma.

Mel lui balança un coup de pied.

« Sérieusement, Mel ?! Bon, ma p’tite dame, appelez les autorités, racontez-leur qu’il s’agissait de légitime défense et tout se passera bien. Je vous raccompagne ? »

Laura baissa les yeux.

« Bordel, Selma, t’en rates pas une ! T’es vraiment épaisse pour une détective ! Tu sais qui était son mari ? C’était Ralf Utrillo !

-       Merde, le maire ?

-       Oui !

-       Le super-flic ?

-       Mais oui !

-       Qui a donné les pleins pouvoirs aux keufs de la ville ? Qui a autorisé la torture cérébrale ?

-       Sérieusement ?! »

 

Selma se tourna vers Laura : « Chapeau Madame : vous êtes sacrément dans la merde mais vous avez rendu un grand service à l’Humanité !

-       Il y a pire, murmura Laura en se tordant les mains. »


Selma et Mel retinrent leur souffle.

-       …J’ai…j’ai perdu le corps. Je ne sais pas où je l’ai mis. 

-       Mais enfin Laura, un corps, c’est pas comme des clés de bagnole ! Comment avez-vous pu le paumer ? »

Mel balança un nouveau coup de pied avant de demander doucement : « Et si tu reprenais depuis le début, Laura ?

-       Ça s’est passé pendant le petit-déjeuner. Ralf et moi…enfin Ralf…se méfie de la technologie. Il voulait fliquer tout le monde mais refusait d’introduire des appareils connectés chez nous. Il n’avait même pas de puce implantée. Ça veut dire que c’est moi qui fais la cuisine à l’ancienne, sur le feu. Je crois que c’était aussi une manière de me tenir occupée, de m’enfermer à la maison, de m’empêcher de réfléchir…

Bref. Ce matin, j’ai brûlé ses toasts. C’était la deuxième fois cette semaine, et c’est un homme qui ne tolère pas deux fois la même erreur. Il était furieux : il a décrété que j’avais décidé de lui pourrir son week-end, ses rares jours de repos. Il a balayé mon tabouret, il m’a jetée à terre, et il m’a donné de grands coups de pied dans le visage. Je lui ai dit que je n’avais plus de spray guérisseur, que mon visage tuméfié ferait découvrir à ses administrés SON vrai visage, que sa carrière serait finie.

Il a arrêté de frapper immédiatement, il m’a prise par la main et m’a relevée. Il m’a répondu qu’il savait, qu’il savait qu’un jour je le trahirais. Alors il a mis ses mains autour de mon cou, et il a serré.

J’ai essayé de me débattre, mais il était tellement fort ! Ça l’a tout de même agacé : il m’a plaquée contre le plan de travail de la cuisine et il a continué à serrer. J’étais au bord de l’asphyxie quand mon bras a heurté la poêle en fonte qui qui m’avait servi à cuisiner ses œufs brouillés. Alors je l’ai attrapée et je l’ai abattue de toutes mes forces sur sa tête. Ensuite, je crois que je me suis évanouie.

Quand je me suis réveillée, il était couché face à moi et me regardait fixement, les yeux grand ouverts, avec ce petit air cruel et moqueur que je lui connaissais si bien. Mon premier réflexe a été de protéger mon visage en m'excusant. Mais il ne bougeait pas et ses yeux ne cillaient pas. J’ai mis longtemps à comprendre qu'il était mort. Plusieurs minutes, jusqu'à ce que je voie le filet de sang qui coulait de son crâne.

Alors je me suis levée et je me suis dit que tout était en désordre, que je devais nettoyer ma cuisine, que si Ralf voyait ce bazar…C’est là que j’ai réalisé. J’ai craqué, je me suis mise à pleurer, à hurler. J’ai pris un cachet de Xorax pour me calmer et j’ai dormi quelques heures. Quand je me suis réveillée, je suis retournée à la cuisine en tremblant mais le corps n’était plus là et tout avait été nettoyé. Je crois que je n’avais jamais vu ma cuisine aussi étincelante. J'ai été prise d'une sorte de frénésie et je me suis mise à courir dans toute la maison pour retrouver le corps. En vain bien sûr. Je ne sais pas quoi faire : lundi, tout le monde se demandera où est le maire. Que faire si je ne retrouve pas le corps ? Et que faire si je le retrouve ?

 

Elle mit la tête entre ses mains et commença à pleurer : « Je suis perdue ! ».

-       C'est plutôt lui qui est perdu, ricana Selma avant de se ressaisir. Votre mari étant réfractaire à la technologie, je suppose que vous n'avez aucune caméra de surveillance dans votre maison.

-       Aucune.

-       Vous y vivez seuls tous les deux ? Pas de droïdes domestiques je suppose, mais des employés de maison peut-être ?

-       Non, Ralf est trop parano pour ça, et puis c'est moi, son employée de maison…

-       Qu'indique votre puce de localisation ?

-       Que je n'ai pas bougé de chez moi.

-       Une personne aurait-elle pu pénétrer dans votre domicile pendant votre sieste ?

-       Je ne pense pas… toutes les portes et fenêtres étaient verrouillées, aucune n'a été forcée.

-       Donc le corps doit encore se trouver à votre domicile…Vous me permettez de faire des clichés de vos mains ainsi que des prélèvements ?

 

Laura acquiesça. Selma sortit donc de son accoudoir un sachet à l'ancienne : cure-dents, seringues, coton-tige, tubes à essai… Elle fit les prélèvements d'une main experte et les déposa dans une centrifugeuse du laboratoire adjacent.

-       Très bien, j'aurai les résultats dans une demi-heure. En attendant, et si on allait voir à quoi ça ressemble, la piaule d’un maire ?

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