V
Ophélie passa les quinze heures suivantes prostrée dans son
lit entre rêves agités et éveils cauchemardesques, claquant des dents, hurlant
à intervalles réguliers. Alix avait pris sa journée pour la veiller. La fatigue
et l’angoisse tiraient ses traits. D’une main, elle caressait les cheveux de sa
compagne, de l’autre, elle consultait frénétiquement son téléphone pour obtenir
des informations sur l'homme qu’Ophélie -ou son fauteuil ?- avait attaqué.
Ce dernier n'était pas mort, à son grand soulagement, mais dans le coma, oh…, la
scène n'avait pas été filmée en raison d'une défaillance temporaire des caméras,
immense soulagement, et la police suivait la piste d’une rixe entre
ivrognes. Puis, vers 17h, la nouvelle tomba : des vidéos avaient été
trouvées dans le portable de la « victime ». Les mots
« viol » et « torture » furent prononcés. Alix sentit ses
oreilles bourdonner et eut tout juste le temps de se ruer aux toilettes pour vomir
son déjeuner.
À son retour dans la chambre, Ophélie était éveillée. Très
pâle, elle s'était redressée dans le lit à l'aide d'oreillers, et contemplait
son fauteuil, sourcils froncés. Alix s'assit à ses côtés et dit
simplement : « Pardon, je te crois. »
Ophélie sourit faiblement: « Je possède un fauteuil fantôme misandre qui
joue les justiciers ? »
Alix lui tendit le téléphone avec les informations mises à jour sur l'homme que
le fauteuil avait attaqué.
Lorsqu’Ophélie reposa le téléphone, elle tremblait sans pouvoir s’arrêter. Alix
prit ses mains entre les siennes.
« Qu’est-ce qu’on va faire ?
- Trouver des réponses. A la source. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui on a
besoin de réconfort. Ça te dit des crêpes ? »
Alix jeta un coup d’œil terrifié en direction du
fauteuil : « Ça te dérange pas de retourner dans le fauteuil manuel
un moment ? »
Un bip se fit entendre, comme si Corinne était contrariée.
VI
Le lendemain, les deux amies avaient prévu de retourner chez
le vieil homme qui leur avait offert le fauteuil mais à leur réveil, elles
trouvèrent Corinne, fermement campée dans le couloir, bloquant la porte
d’entrée.
- Merde, chuchota Ophélie, je crois qu’elle veut nous
accompagner. Qu’est-ce qu’on fait ?
Alix tenta d’appeler le vieil homme, mais il ne répondait
pas.
Enfin , Ophélie prit une décision : « Écoute,
cette machine infernale est têtue comme une bourrique. Tant pis, on l’emmène. Au
pire, il suffit de pas croiser de connards ! »
Alix ricana nerveusement : « Ah ah,
facile ! »
Elles arrivèrent sans encombre jusqu’au pavillon de
banlieue, où le vieux leur ouvrit, l’air surpris :
- Vous avez un problème avec le fauteuil ?
- Tu parles, Charles ! Vous nous avez fourgué un
fauteuil possédé, et je suis sûre que vous étiez parfaitement au courant !,
tonna Alix.
- Punaise, et la subtilité, Alix ?! » s’emporta
Ophélie.
A cet instant, Corinne fonça sans sommation sur le vieil
homme, qui bondit en arrière avec une agilité surprenante. Surprenant aussi fut
l'impact contre la lourde console de l'entrée de sa tête. Tête qui s'ouvrit en deux
comme une pastèque trop mûre, de manière peu ragoûtante. Alix ouvrit la bouche,
Ophélie poussa un faible cri. L'ensemble de ces opérations prit exactement une seconde
et dix centièmes. Le vieil homme s'étala à terre : il était mort.
« Meeeeeeeeerde, fit Ophélie, ça y est, on a buté
quelqu'un ! »
Mais déjà Corinne contournait le cadavre pour se diriger
vers la chambre du défunt. Du repose pieds, elle vint heurter une cloison
pratiquée dans la tapisserie. Un panneau coulissa, révélant une véritable
montagne de photographies, qui se déversa sur le sol. Sur toutes les photos, la
même jeune fille, nue, dans ce même fauteuil roulant.
Alix et Ophélie les contemplèrent épouvantées quelques
instants.
- Là, chuchota Ophélie, ton calvaire est fini Corinne, il ne
te touchera plus. Rentrons chez nous à présent.
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